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Juillet 2017, Cali, Valle del Cauca, Colombia
Ce lundi-là, à Cali, le théâtre est plein à craquer. À ce qu’on raconte, il y a au moins mille personnes dedans, et quatre cents dehors, qui ne peuvent pas entrer.
Vamos pueblo carajo! (aprox: Allons-y, le peuple est là, nom de diou)
Les voix des milles personnes présentes résonnent à l’unisson.
A desalambrar a desalambrar! (aprox: Coupons les barbelés!)
Le public chante à pleins poumons, à pleine force vivante.
Parmi les spectateurs, il y a la famille et les amis d’Olga Lucia Bonilla, une leader, éducatrice populaire et aimante des gens de son quartier; disparue à Buenaventura en 1997, à l’âge de 28 ans aux mains de la Police nationale colombienne. Disparition jusque là impunie.
Il y a aussi la famille et les amis de Sandra Viviana Cuellar Gallego, écologiste, poète et militante pour la défense de l’eau et de la vie; disparue en 2011 à l’âge de 26 ans à Cali. Disparition jusque là impunie.
Cela fait un mois et demi que le Centre de Mémoire Historique et le Movice (Mouvement de Victimes de Crimes d’État) nous ont contacté pour mettre en scène ces deux histoires de vie, qui, aux côtés de quatre autres histoires mises en scène par trois autres groupes et collectifs de Cali complètent le spectacle Por Algo sería.
La proposition est de créer à partir et avec les familles et amis. Et c’est ainsi que nous nous retrouvons à Buenaventura, dans le quartier où a vécu Olga, à rencontrer ses proches, cheminer dans les ruelles de son enfance, découvrir ses objets fétiches, comme cette robe de mariée que sa tante garde précieusement. Et c’est ainsi que nous passons du temps à écouter les récits, de sa vie, de sa disparition, des conséquences. La joie de la jeune Olga, son engagement et son amour des gamins du quartiers, la tristesse infinie de sa disparition absurde, l’injustice, l’impunité et la colère face à la machinerie policière qui la fit disparaître et qui depuis nie tout en bloc. La résilience et le droit à la vérité.
Les parents de Sandra nous racontent son enfance, ses rêves, ses réussites, ses passions; ils nous montrent la jupe avec laquelle elle dansa dans les montagnes des Andes. Les luttes pour la vie dans lesquelles elle mit tout son cœur et son intelligence. Nous lisons les articles de presse, les écrits où se dénonce la multinationale Smurfith kappa et son désert vert de pins exploités pour le carton; les industries du sucre de la vallée du Cauca et leurs déserts de canne. Les grandes entreprises minières qui souillent l’eau. Ses parents nous racontent l’angoisse dans laquelle ils continuent à l’attendre, à espérer son retour; ils nous parlent aussi du Carnaval pour la Vie, qu’ils ont créé en son hommage et face à l’impunité d’un État qui n’a jamais voulu enquêté.
C’est pour ça; c’est pour elles deux et pour les quatre autres personnes victimes de crimes d’État; c’est aussi pour toutes les autres dont on ne parle pas, que le théâtre est plein à craquer.
Il est plein de familles, d’amis, de voisins, d’étudiants, d’habitants de Cali et alentour, de gens de tous horizons… Plein, parce que dans ces histoires résonne la réalité de tout un pays; plein parce que nous avons tous besoin de faire mémoire, de rêver, de rire et de pleurer ensemble, et surtout de nous charger d’espérance.
Deux marionnettes de papier racontent les histoires d’Olga et Sandra à nos côtés; et nous, nous sommes les humbles complices honorés de les côtoyer.
Deux marionnettes construites avec le cœur, chargées de la brise de Buenaventura et du vent des Andes, chargées de toutes les voix des amis et des familles… Pour rendre hommage à deux vies qui ont disparu dans un grand point d’interrogation.
Durant un mois et demi nous avons tenté de recoller les morceaux. Des témoignages d’ici et de là; des objets et des couleurs. Des sensations. Nous avons construit un robe de mariée et une jupe volante. Nous avons collé un à un des petits morceaux de papier sur des visage d’argile comme pour leur rendre la vie.
Et nous avons répété.
En musique et en chansons.
C’est pour cela que, ce fameux lundi, le public s’époumone avec nous:
Vamos, Pueblo Carajo! El pueblo no se rinde carajo! ( Le peuple ne sera pas vaincu, nom de diou)
Parce que ce refrain, tous le connaissaient de la récente grève populaire à Buenaventura.
C’est pour ca que le théâtre se transforme en un seul chant:
A desalambrar, a desalambrar, que la tierra es nuestra y tuya y de aquel…
(Coupons les barbelés, parce que la terre est à nous, à toi, et à celui-là),
se souvenant des luttes de Sandra.
Et elles sont là, Olga et Sandra.
Avec nous, avec les gens.
Pour crier qu’ils ne pourront jamais faire taire la mémoire et la vie.
Pour chanter contre l’oubli.
Pour continuer à lutter.
Olga Lucía Bonilla
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Sandra Viviana Cuellar Gallego
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